La vie et la fin des administrations de mission, et le cas révélatoire de l'Observatoire Économique et Statistique desTransports (OEST)
Avant propos
L’administration prospective (et le SAEI au sein duquel nous avons, jeunes, été recrutés, il faut le croire, nous a profondément marqués. Bien qu’embauchés pour des motifs et avec des profils différents, nous avons vite été imprégnés de cette « différence » qui faisait de nous une entité à part. Autant l’administration traditionnelle était encore par bien des aspects « courtelinesque » nous vivions dans une structure moderne, fort jeune, pluridisciplinaire, et, petit détail non secondaire, un bâtiment alors moderne qui nous était dédié. Qui plus est son rôle était singulier, mêlant expertise, formation, et, avouons-le une certaine forme d’enthousiasme que l’on ne trouvait guère ailleurs. Pour la plupart d’entre nous, on aurait pu parler de « distinction », au sens où Bourdieu parle de cette « forme de culture désintéressée ». La notion de mission prenait là toute sa dimension, qu’il s’agisse d’évaluation, de RCB-budgets de programme, d’étude quantitative et de modélisation. N’étant pas chercheurs nous ne cherchions pas la reconnaissance de nos pairs, et n’étant pour la majorité d’entre-nous non fonctionnaires, nous ne visions pas une carrière et ne pensions pas à notre mobilité. Nous étions dans le faire, et dans l’entraînement, dans le mouvement, chose peu fréquente dans l’administration. Ce texte est donc un témoignage, mais aussi une analyse rétrospective, prolongée dans le temps, de ce type de structure - et au fond nous les fréquentions toutes - qui provoquèrent une inflexion salutaire dans l’action publique. La fin de cette histoire est pour nous non un échec, mais une sorte d’interruption dommageable. Un coup d’arrêt, non pas incompréhensible mais fâcheux. Puisse notre témoignage aider à en prendre conscience.
L’administration prospective ou administration de mission
Comme l’a bien montré en son temps Lucien Sfez dans « L’administration prospective », il existe dans l’appareil d’Etat (et éventuellement par extension dans les structures publiques territoriales) des administrations singulières qu’il baptise « prospectives », au sens où elles « s’efforcent d’agir avec la vision de l’avenir national ». Derrière cette exigence, il y la nécessité de voir loin et d’anticiper (prospective), de voir large et global (systémique), et de concerter son action.
Il faut bien voir les conséquences de cette « façon d’être ». Autant les administrations classiques s’organisent autour de domaines de compétences - les fameux décrets d’attribution des ministres, et les décrets portant organisation de l’administration centrale, autant l’administration prospective au sens de Sfez s’organise autour de « missions », ce qui naturellement « déborde » sur des fameuses administrations centrales.
Ce fût le cas du Commissariat du Plan, de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), de la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (DGRST), et de nombreux d’organismes « horizontaux » comme le SAEI (Équipement) puis l’OEST (Transport), et toutes les structures qui eurent en charge la RCB (Rationalisation des Choix Budgétaires). Ces structures animent, recueillent des informations, mènent des études et concertations, et pour certaines disposent de fait d’un fonds spécifique, permettant d’agir. Ce fut le cas du Plan (FDES), de la DATAR (Fonds National d’Aménagement du Territoire), de la DGRST (Fonds de la recherche)…
Mais il ne faut pas croire que l’instauration de ces fonds « administrations de mission » se réalise du premier coup, sans difficultés, et que d’emblée elle acquièrent la plénitude de leurs moyens d’action, d’intervention et d’influence.
Vincent Duclert décrit les débuts compliqués, de la DGRST, et les échecs précédant sa création (4ème république) d’organisation de la politique scientifique de l’Etat, et, dix ans après sa création, sa « réduction à n’être qu’un instrument de l’action des ministres de la recherche ». Jusqu’à son ultime disparition quand Jean Pierre Chevenement l’absorba pour en faire son administration centrale au Ministère.
Délégué général du Premier Ministre, le DGRST a un rôle singulier, dispose on l’a dit d’un fonds, et « bénéficie » de ce qu’on appelle l’enveloppe Recherche au sein des budgets ministériels, ce qui la sanctuarise.
Il est intéressant de comprendre ce « cycle » qui va des échecs à la « digestion » de la DGRST dans l’appareil. L’échec découlait de ce que précisément l’administration de mission n’existait pas.. et ce qui était présenté comme son couronnement, apparaît finalement comme sa fin. Redevenu simple ministère, naturellement éphémère dans le système français, la politique de la recherche retombera vite dans la « dilution ».
Toutes les administrations de mission n’ont pas la même histoire, mais toutes naissent d’une exigence que ne peut satisfaire l’administration traditionnelle, et toutes tendent à être détruites, dissoutes, digérées, parfois au prix d’un discours donnant le change.
Plan, DATAR, DGRST symboles de l’administration prospective
Le Plan, né chez nous de la nécessaire reconstruction de l’économie française, est une épopée d’abord, puisqu’il s’agit non seulement d’atteindre des objectifs simples, mais de maîtriser les données permettant de le faire. Le plan était évidemment impératif par ce que vital. Avec la fin de cette période, l’ouverture progressive de l’économie, etc.. il devient plus complexe, plus indicatif, mais continue d’avoir un rôle majeur.
Nous pensons, comme J. de Gaulle, mais sans en partager les conséquences, que l’institution par la gauche d’un système associant deux lois de plan (la seconde étant programmatique) s’avérait « insupportable » en cas d’alternance politique. Au lieu d’un tirer les conséquences (la révision du plan, ce que la gauche fit auparavant en remplaçant le 8° plan par un plan intérimaire), on conclut alors à la nécessité d’abandonner ce dispositif contraignant. Ce fût « idéologiquement » la première mort du plan.
La DATAR de son côté, qui allait de réussites en réussites, échoua à mettre en place des schémas directeurs (SESAME), et à notre sens fût pratiquement dissoute ou digérée par la politique de décentralisation. Outil central mais déconcentré et partenarial, la DATAR, ne parvint pas à survivre très longtemps aux vagues de décentralisation.. Elle se mua en outil « d’égalité des territoires », puis selon l’air du temps, en agence de cohésion des territoires.
C’est que naissait alors (années 2000), une vague considérable de démantèlements de l’Etat. Si la décentralisation avait fait quasi disparaître l’armature de l’action territoriale de l’Etat, cette prolifération d’agences répondait en réalité à plusieurs tendances. La première, menée de manière imparfaite, de mise en place d’autorités indépendantes de régulation, et la seconde de démantèlements authentiques, aboutissant à la création d’agences diverses. Les plus connues comme l’Ademe ou l’Afitf, peuvent avoir des statuts et des réalités fort différentes, allant de structures fortes à des coquilles vides. Pour autant, il est difficile de comparer l’Ademe à ce qu’étaient les administrations prospectives de jadis. Elle n’en n’a ni l’influence ni l’autonomie, ni l’autorité, même si sa fonction est aujourd’hui importante.
La notion même d’agence ou d’opérateur de l’Etat recouvre d’ailleurs une réalité extrêmement disparate, allant de Pôle Emploi au CEA en passant par le CNRS ou l’ANAH.. et représentant un « budget d’Etat » de plus de 90 milliards € en 2023.
Mais le mouvement dominant est bien celui de la disparition des administrations de mission et leur remise en cause. Le Plan d’aujourd’hui ne fait plus de plan, bien que l’institution ait été rétablie, la DATAR a disparu, l’ANR n’a rien de la DGRST, la RCB est morte au tournant des années 1970, sur la fin de la présidence de V. Giscard d’Estaing, les services horizontaux ne sont plus - à de rares exception près - importants et actifs au sein des ministères.
C’est que comme le disait Lucien Sfez dans l’introduction de son ouvrage : « Les citadelles et féodalités administratives ne tombent pas sous l'effet des trompettes des Josués-réformateurs, mais ont tendance à se lézarder par suite de la cohérence nécessaire des décisions, révélée par les méthodes modernes de gestion. » Puis un peu plus loin, « Bien entendu, tout n'est pas joué. L'erreur la plus naïve qu'on pourrait dégager de ces développements consisterait dans la croyance que, puisque inévitablement les organisations seront renouvelées, il suffit de laisser faire. Grave erreur, car les hommes comme les structures résistent vigoureusement à la médecine de cheval qui leur est imposée par les événements. Cette résistance peut être farouche et brutale, auquel cas sa brutalité même la desservira et elle cessera d'exister. Mais, dans certains cas, elle pourra prendre une seconde forme hypocrite et sournoise. Elle fera mine de s'intéresser aux techniques nouvelles pour mieux les absorber, pour mieux les étouffer. » .
C’est ainsi que, finalement, les administrations de mission périclitent et disparaissent, et sont étouffées. A cet égard l’histoire du SAEI puis de l’OEST est révélatrice.
Le cas du SAEI puis de l’OEST, emblématique de la disparition de l’administration prospective : les deux morts
Le SAEI un modèle d’administration de mission
La création du SAEI (Service des Affaires Économiques et Internationales du ministère alors chargé des travaux publics et des transports) en 1960 est pour ceux qui comme nous ont été impliqués dans son histoire et celle de ses successeurs (SAEF, SAEP, SAE, OEST…), une date essentielle. A cette création est associée la figure de Maurice Buron, et la conception du rôle singulier d’un service économique au sein d’un grand ministère. Le débat parlementaire vient ici expliciter le décret de création : il s’agit bien, non seulement de mener des études, et de développer les statistiques, mais de jouer un rôle d’état-major auprès du Ministre et son cabinet, de s’impliquer dans l’exécution du plan et sa préparation, mais aussi « de conseiller les différents directeurs dans leurs propositions « avant » qu’elles ne soient soumises au ministre. Ce rôle, bien entendu « choquera » les administrations dites « verticales » avant même la création du SAEI, et bien entendu « après », et les incitera à renforcer leur propre capacité d’étude.
Cette place singulière du service lui donna vite un point d’appui essentiel à l’extérieur même du Ministère : avec le Plan (les travaux se renforçant et prenant une ampleur technique plus prononcée), la DATAR (1963), mais aussi ultérieurement avec la Direction de la Prévision du ministère de l’économie, créée en 1965, puis de la Mission RCB (direction du budget), le premier « budget de programme » étant le fait du ministère de l’équipement.
Ce point est important. C’est avec d’autres administrations de mission que le SAEI construit alors son influence et consolide son rôle interne, que les administrations centrales chercheront à contester de manière quasi continue, mais variable. Paradoxalement, l’implication de services ou cellules ayant des vocations similaires à l’intérieur des directions a pu - essentiellement en raison de la nature de leur recrutement - favoriser un travail commun en bonne intelligence.
L’élargissement des compétences du ministère avec la création du ministère de l’équipement (1966) induisit mécaniquement l’extension des activités du SAEI au champ urbain, tant pour les études (avec un grand département commun d’économie appliquée) que pour la recherche (création d’une mission de recherche urbaine).
Le renforcement de la recherche sectorielle aboutit à la création en 1967 - au sein du SAEI - d’une « mission de la recherche », créant au sein du service une émulation intéressante entre les études et la recherche, et une collaboration fructueuse.
C’est à travers une opération générale de modernisation de l’administration territoriale de l’équipement que le SAEI franchit un nouveau pas, par l’entremise d’une opération pilote de grande ampleur (adéquation moyens-objectifs) menée par son département « management et informatique ».
On a parlé plus tard de cette période comme celle du « temps des ingénieurs économistes ».
Le gouvernement Chaban-Delmas permit en outre indéniablement de manière globale, au sein de l’administration, au domaine des études et de la recherche de se renforcer et de se diversifier, sans faire fuir les corps de hauts-fonctionnaires du SAEI.
Tout ceci mena le service à regrouper près de 200 personnes vers 1974, contre une poignée à ses débuts.
Les premières pertes
La première perte, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, fut celle de la mission de la recherche. Formellement elle quittait le SAEI sans quitter ses locaux. Il semble que cette décision n’était pas étrangère à la volonté de piloter plus directement les crédits de recherche-développement.
La seconde « perte » du SAEI fût consécutive à la décision de transférer l’opération pilote aux directions d’administration centrale (administrative, et aménagement foncier et urbanisme). Cette décision fût peu critiquée, et présentée comme logique : le SAEI initie et innove, ensuite c’est à l’administration de prendre la suite.
Puis vint la période où le ministère fût scindé (environnement vs transports), en 1978, qui aboutit à une remise en cause plus fondamentale du SAEI, et l’ouverture d’une période de fragilité et de restructurations.
Il faut bien en percevoir la nature.
C’est à ce moment que le recentrage sur le seul transport apparaît, curieusement au moment où l’on veut signifier l’importance du cadre de vie, perdant l’idée d’une approche horizontale, mais instituant une structure ministérielle distincte. Cette scission avait été précédée d’une séparation formelle des activités d’études en deux (Transport et urbain).
La division du ministère de l’équipement en deux composantes, dirigées par deux ministres de tendance différente, conduisit à supprimer le caractère interministériel (ou intersectoriel) du Service. Puis se succédèrent des structures de plus en plus réduites et fragiles, et, in fine, par la création d’un simple service d’analyse économique (SAE) au sein d’une Direction Générale des Transports Intérieurs (alors que la SAEI touchait à la fois à la marine marchande, à l’aviation et aux transports internationaux) ; une option résolument écartée en 1960.
D’une certaine une manière cette nouvelle structure témoignait de l’incompréhension même de la nature des chaînes de transport, et de l’internationalisation de l’économie.
Ces grandes évolutions étaient bien entendu permises par le recul ou la remise en cause du rôle du Plan comme de la RCB, et une méfiance générale à l’égard des services d’études (et de recherche) qui étaient perçus comme « contestataires » ou simplement « non libéraux ».
L’alternance politique n’allait pas changer, bien au contraire, cet état de fait. Bien que la direction générale des transports intérieurs (DGTI) disparut, - ce qui n’empêcha pas le Ministre des Transports de s’obstiner à faire une Loi d’Orientation des Transports Intérieurs, et non des transports terrestres comme le feront les espagnols - le SAE devint service d’analyse économique et du plan (SAEP) au sein d’une direction des affaires économiques et administratives (DAEFA), et perdait par la même occasion ses moyens administratifs et budgétaires.
Le SAEP
Pour autant - et il allait poursuivre après la création de l’OEST - l’équipe en place allait innover dans plusieurs domaines.
Au SAEP ce fût surtout les domaines de la prévision de transport (moyen terme), de la prévision macro-économique et sectorielle (Mini DMS Transport, Propage…), des projections à court terme, des prévisions financières relatives aux entreprises publiques, l’analyse des stratégies des grandes entreprises de transport (groupes), l’analyse des détournements de trafic sur les ports du Benelux, l’approfondissement de la « dépense nationale du transport international », et de l’acheminement portuaire, etc…
De nouveaux champs d’investigation ont été développés pour la mise en place d’une nouvelle approche par le Ministre de la planification et de l’Aménagement du territoire, Michel Rocard. Cela concernait notamment la mise en place de contrats de Plan avec les grandes entreprises publiques et les régions, ainsi que de la sélection de Programmes Prioritaires d’exécution (PPE). Le cadrage socioéconomique du travail a été établi par le SAEP, harmonisé pour l’ensemble des modes, ce qui n’a pas été facilement admis, notamment par la SNCF et les armateurs fluviaux.
La méthode consistait à combiner l’utilisation des modèles sectoriels du SAEP, fait qu’il a fallu faire accepter, notamment par la SNCF, et les résultats de discussions prospectives conduites avec les professionnels par grands secteurs. Concernant l’organisation logistique, une approche par les nœuds d’organisation que sont les plates formes logistiques, a été privilégiée, distinguant leurs différentes fonctions, mais des financements prévus par les PPE (Programmés Prioritaires) n’ont en définitive été retenus que pour des plateformes favorisant l’exportation dans le cadre de l’acheminement portuaire.
L’arbitrage final a surpris ceux qui avaient négocié durant l’été, mais pas tant le Ministère qui n’était pas très enthousiaste sur ce dossier. Ce point a néanmoins donné lieu à beaucoup de débats dans la planification régionale pour l’implantation de plates formes dans l’organisation de la distribution, l’éclatement urbain et la promotion du transport combiné.
Un autre programme prioritaire, plus important en termes de financements était celui de l’amélioration des transports urbains avec le développement de réseaux lourds ,de réseaux de surface, et d’amélioration de l’offre intermodale.
De plus le SAEP était engagé au sein de la DAEFA (Direction des Affaires Economiques et Financières) dans la rédaction des décrets d’application de la LOTI, pour étendre les approches d’évaluation, intégrant des mesures d’impact territoriaux et sectoriels, avec en vue, la rédaction d’une proposition de rédaction d’une circulaire multimodale d’application conformément à la LOTI. Les modèles mentionnés ci-dessus devaient y contribuer mais une circulaire routière avait entretemps été préparée dans la lignée de la tradition du Ministère. La circulaire ferroviaire est venue plus tard.
Parallèlement, le SAEP s’est lancé dans un équipement rapide Micro-informatique (Apple, partiellement à l’encontre des consignes ministérielles), avec le développement de ses propres logiciels de modélisation.
Dans la suite du SAEP, une nouvelle étape a été franchie avec la création de l’OEST qui allait changer profondément l’image d’une administration de mission posant clairement des problèmes qui étaient restés latents dans les organismes précédents.
L’OEST, un renouveau de l’administration de mission
L’article 12 du décret du 2 juillet 85 précise pour cet organisme :
« L'Observatoire Economique et Statistique des Transports (O.E.S.T.) a été créé par le décret du 2 juillet 1985. Son caractère horizontal explique qu'il a été directement rattaché, comme auparavant le Service d'Analyse Economique et Internationale (SAEI), au Ministre de l'urbanisme, du Logement et des Transports (MULT) puis au Ministre de l'Equipement, du Logement, de l'Aménagement du Territoire et du Logement (MELATT) et mis à la disposition autant que de besoin du Secrétariat d'Etat à la Mer. En outre, l'OEST est un service ministériel de l'INSEE. Il assure la gestion des enquêtes obligatoires en transport, et, à ce titre, est couvert par le secret statistique. »
Parmi ses missions on note dans le même article :
- "Analyse et diffuse les informations économiques et statistiques nécessaires à la définition de la politique des transports ;
- Mène les études à caractère socio-économique et financier, notamment dans le cadre de son rôle de coordination et de suivi des opérations de planification et d'analyse des évolutions technologiques ;
-Assure le bon fonctionnement et le développement du système d'informations statistiques ;
- Assure la liaison entre la recherche, les études et les statistiques en matière de socio-économie des transports" »
Un statut d’indépendance dans l’administration
Il fallut attendre 1985 pour que l’opportunité se présente de créer l’Observatoire Économique et Statistique des Transports, avec le Ministre Jean Auroux, nouveau secrétaire d’Etat aux Transports, souhaitant, à l’instar de ce qu’il avait fait à l’énergie, créer un observatoire des transports ouvert aux administrations et aux professions du transport. Il a été secondé dans cette initiative par Patrice Salini, membre de son cabinet, auparavant au SAEP, et au SAEI, devenu par la suite directeur de cabinet du Secrétaire d’Etat aux Transports.
La conception était celle d’une administration indépendante, un service, rattaché directement au cabinet du Ministre, et en réalité de plusieurs puisque le Ministère de la Mer souhaitait que l’OEST lui soit aussi attaché. En contrepartie le travail devait être reconnu pour la qualité de ses travaux, sa rigueur scientifique, et son objectivité afin de pouvoir servir de référence aux acteurs du transports, et effectuer les travaux qui revenaient auparavant au SAEP en matière de planification et d’évaluation de projets et politiques. L’ancien responsable du SAEP Christian Reynaud, était confirmé à la direction de l’OEST.
Le résultat a été que l’OEST a considérablement augmenté ses publications, fortement réduit le temps d’exploitation des enquêtes, souvent de plus de la moitié (enquêtes d’entreprises), augmenté ses productions d’études et de recherche, sans jamais demander une autorisation préalable de publication au cabinet, qui ne lui a pas demandé.
Beaucoup pensaient que cela était impossible et que le service durerait le temps du Ministre. Le meilleur démenti a bien été que, en 1986, lorsque les élections ont été perdues par la gauche et qu’un Ministre libéral, Jacques Douffiagues, a été nommé, l’OEST est resté en place gardant la confiance du cabinet pour ses analyses de transport, son directeur restant un des représentants du Ministère au Conseil d’Administration de la SNCF ainsi que dans d’autres comité directeurs d’entreprises ou d’organismes lui permettant d’avoir vision globale du transport.
Un organisme original d’intégration de production de données et de leur utilisation.
L’OEST était un organisme original par rapport à ses prédécesseurs, pour deux raisons étroitement liées, à savoir celle de l’organisation interne pour une meilleure intégration des données, de leur production et de leur utilisation, faisant alors référence à des questions d’organisation interne et celle de la réalisation de nouvelles missions qui venaient s’ajouter celles du SAEP.
Sur l’organisation interne une première caractéristique était une intégration de la production statistique de l’INSEE pour les transports, voire d’autres productions statistiques et enquêtes décidées par l’OEST pour réaliser ses missions d’évaluation, et celle des études de transport proprement dites, à commencer par les « Comptes Transport de la Nation » qui s’élargissaient constamment. Cette intégration de nouvelles données était discutée à la fois dans le cadre de la Commission des Comptes de Transport Nationaux ainsi qu’au sein du CEDIT, rattaché à l’OEST, (Comité d’Evaluation et de Développement de l’Information en Transport) qui incluait des représentants d’organismes universitaires et professionnels, pour suivre les besoins nouveaux d’information liés à l’approfondissement et l’élargissement du champ du transport, ainsi qu’au développement de la recherche, comme spécifié dans le décret de création.
L’INSEE était étroitement associée à cette expérience visant à enrichir les connaissances réciproques d’une comptabilité nationale et d’une comptabilité « matière », « spatialisée » constituée de tonnes de différents type de produits transportés, de types de déplacements dans des espaces territoriaux locaux, régionaux, nationaux internationaux (dont Européens pour les liens avec Eurostat). C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Ministre Jean Auroux, professeur de géographie, avait demandé à l’OEST un premier Atlas transport. Dans le même esprit le CEDIT a lancé avec l’INSEE des enquêtes « mobilité », et des enquêtes sur le transit des marchandises en France en coordination avec la Suisse et l’Autriche qui les ont maintenus depuis, mais pas la France.
Cette intégration s’est accompagnée d’une reprise en main de toute l’exploitation informatique des données par l’acquisition de micro et mini ordinateurs, économisant énormément en coûts et délais de traitement par rapport à la situation antérieure de sous-traitance de prestations informatiques auprès des gros centres informatiques du Ministère. La stratégie informatique de l’OEST a été menée par un département informatique dynamique impliqué, à la fois dans la conception de l’exploitation informatique interne à l’OEST, et dans la transmission électronique données comme sujet de recherche sur les nouvelles technologies du transport, important (EDI, Electronic Data Interchange).
Outre des publications enrichies, ce travail d’intégration s’est aussi accompagné d’un travail d’amélioration des bases de données de transports multimodales permettant une meilleure compréhension du lien entre l’activité économique et le transport ainsi qu’une meilleure appréciation de l’impact territorial du transport sur l’environnement.
Un recrutement de profils pluridisciplinaires
Il est clair que le recrutement classique du Ministère serait difficile, la direction de l’OEST ayant été assumée par des contractuels (sans attribution de postes budgétaires correspondant), ainsi qu’une bonne partie des socio-économistes venus du SAEP, avec déjà une grande expérience de l’administration et du transport.
Ceci étant l’enseignement à l’école TPE et une certaine réputation à l’université de Lyon a permis un recrutement de tout un contingent des jeunes TPE extrêmement motivés, bien qu’avertis que cette voie ne serait peut-être pas la plus rapide pour leur carrière. L’INSEE a pour sa part joué le jeu en fournissant les personnes qualifiées d’attachés, et de 2 ou 3 Administrateurs comme il l’avait fait auparavant, non sans souhaiter la direction de l’OEST pour un Administrateur Général ou un administrateur susceptible de le devenir. A cela s’ajoutait des mises à disposition de spécialistes d’entreprises publiques (SNCF surtout et CGM) que leur direction avait du mal à recaser compte tenu de leur compétences au regard de leur grade : le plus souvent d’anciens syndicalistes, de bords différents, ayant eu de hautes responsabilités syndicales, leur grade n’ayant pas suivi. Des personnes très curieuses, motivées et compétentes, connaissant bien le milieu transport.
Cet ensemble a donné une bonne répartition pluridisciplinaire, de personnes motivés pour l’expérience OEST, l’histoire montrant que cela n’aura pas été du tout défavorable à des carrières nationales, y compris dans l’administration, ou dans des organismes Internationaux.
Ouvrir l'O.E.S.T. aux différents partenaires du transport
L’ouverture à la profession du transport et aux différents partenaires est une autre mission essentielle de l’OEST, dans l’esprit des rédacteurs du décret de création, montrant la voie d’une administration nouvelle. Cette ouverture s’est traduite par des rencontres régulières avec les professions, participant à l’introduction de beaucoup de leurs manifestions professionnelles, l’apport de données qui les intéressaient plus directement, Ils étaient régulièrement invités pour commenter la conjoncture et interpréter des écarts que l’OEST pouvait avoir entre des projections et la réalisation observée. En d’autres termes ils bénéficiaient d’informations et de données de contextualisation de leurs performances au sein de leurs professions et en relation avec l’environnement socioéconomique, national et international. Un groupe informel fut créé avec les professionnels et la Direction Transports Terrestres dès l’époque du SAEP intitulé « groupe d’observation du transport routier international », fort éclairant pour tous.
Les contacts avec les milieux professionnels étaient facilités par l'existence du Conseil National des Transports (C.N.T.) et les relations avec les organismes nationaux professionnels qui n’avaient donc pas à produire leurs propres données, de concert avec d’autres agences ou organismes publics, ayant crée presqu’autant « d’observatoires » avec le risque de discuter sur des bases différentes, compliquant la compréhension mutuelle. Une question discutée était celle de la contrainte que les transmissions de données fait peser sur les entreprises ou le acteurs du transport : l’OEST a essayé de les compenser, dans la mesure du possible, par des retours personnalisés d’information situant par exemple des résultats au sein d’une fourchette d’entreprises ou d’une population, des initiatives qui tendaient à montrer que les échanges se feraient dans les deux sens, sans forcément brandir des arguments d’autorité d’enquêtes obligatoires, auxquels l’OEST était en droit de recourir, si nécessaire.
Ouvrir l’OEST aux régions
L’ouverture de l’OEST aux régions s’est faite par deux canaux, avec d’une part celui des organisations professionnelles, de l’Union des Offices des transports et des PTT, et des Chambres de Commerce (CCI) et, d’autre part celui des administrations régionales.
Il faut dire que l’OEST était connu au niveau régional en raison des enquêtes obligatoires qu’il dirigeait, ce qui rendait d’autant plus importante cette question de proximité pour que les enquêtes ne soient pas considérées comme des actes bureaucratiques et intrusifs sans enjeux. Les CCI via l’organisation de l’Assemblée Permanente des CCI (APCCI) située à Paris, ainsi que les Unions de Transports ont bien aidé l’OEST dans cette tâche.
Dans les relations avec les Directions régionales de l’équipement (DRE) l’idée était de travailler avec leurs économistes ou statisticiens régionaux leur permettant des accès privilégiés, respectant le secret statistique, aux sources d’informations nationales ou régionalisées de l’OEST, afin de mettre en place des observatoires régionaux et de participer au travail sur les contrats de plan Etat -Régions. En retour l’OEST recevait des données régionales spécifiques, comme cela a été par exemple le cas sur des enquêtes de transit routier au droit de Montpellier pour suivre le transit Espagnol, ou bien sur l’implantation de Plates Formes logistiques de la Région Nord pas de Calais, et du grand Sud-Ouest. Deux régions tests avaient été choisies, celle de la DRE Nord-Pas-de-Calais et celle de la DRE Languedoc-Roussillon. Toutefois ce travail n’a pu être achevé mais des observatoires régionaux se sont développés et sont un lieu de rencontres régulières entre acteurs de transport régionaux, et plus rarement producteurs de données.
L’ouverture internationale
L’ouverture internationale était un volet important de la mission de l’OEST alors que paradoxalement cette implication était plus limitée dans l’organisme antérieur qu’était le SAEI.
L’une des premières questions traitées fut celle du développement des statistiques européennes et de la participation aux travaux d’Eurostat, notamment pour l’adaptation des méthodes de collecte des données relatives au trafic international. Cette démarche s’inscrivait dans un objectif de simplification des procédures administratives voulue par la Commission Européenne..
Une attention particulière fut accordée aux questions liées à l’adhésion prochaine de l’Espagne, événement entrainant la disparition des données de transit à travers la France ainsi qu’aux trafics avec l’Angleterre dans la perspective de l’ouverture du tunnel sous la Manche.
Pour les entreprises françaises de transport l’enjeu était aussi déterminant puisque après 1985 et la décision de la Cour de Justice Européenne, condamnant la Commission et le Conseil des Ministres pour non application du traité de Rome (arrêt dit de « carence »), la libéralisation du transport européen se mettait en marche.
De même, lors de la suppression de la tarification routière obligatoire (TRO), l’OEST conçut très rapidement un dispositif de suivi conjoncturel des prix au véhicule.km.
Au niveau de l’évaluation des infrastructures internationales, parmi les projets majeurs ayant mobilisé l’OEST, figurait le développement des TGV sur l’axe Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam, pour lequel des groupes internationaux des pays concernés ont été constitués pour confronter des méthodes d’évaluation, une question étant celle de la confrontation de taux de retours nationaux et Européens. Dans ces débats sur les TGV, il faut rappeler que l’OEST disposait alors des données de l’ouverture de la ligne nouvelle Paris Lyon, le SAEP ayant piloté la mise en place d’enquêtes multimodales « avant-après », en trois vagues, une avant et 2 après, constituant un corpus de données précieux sur les transferts entre modes.
Ces données ont permis à l’INRETS (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité) de bâtir un modèle de trafic TGV original (MATISSE), outil précieux pour l’évaluation des projets ultérieurs de trains à grande vitesse en France, et en Europe, mais malheureusement délaissé par la suite pour l’utilisation de progiciels commerciaux plus classiques, mal adaptés pour cerner la concurrence route-fer ou bien évaluer l’induction de trafic lié à l’investissement.
Cette ouverture internationale s’est également traduite par un rapprochement avec les services d’études et de statistiques de pays voisins, notamment des Pays-Bas et de la Suisse. Les collaborations ont été facilitées par la CEMT (Conférence Européenne des Ministres des Transports), qui a permis des échanges avec les administrations et les milieux académiques européens, en particulier dans le domaine des études socio-économiques et de la recherche, l’OEST participant à son Comité de Recherche Transport.
Concernant les relations avec les pays Méditerranéens du sud de l’Europe, les ministres Français, Espagnol et Italien ont décidé d’implanter à Barcelone le CETMO (Centre d’Études des Transports Méditerranéens Occidentaux). Cet organisme a permis d’élaborer une base de données sur les infrastructures et de trafic reliant ces pays méditerranéens au reste de l’Europe et aux pays du Maghreb. L’opération s’est aussi engagée avec la CEE-ONU de Genève (Commission Economique pour l’Europe de l’ONU), qui pilotait trois grandes études de corridors traversant l’Europe : du nord vers le sud-ouest en liaison avec le CETMO, du nord vers l’Italie (coordonné par l’Université d’Aix La Chapelle) et le troisième traversant du Nord au Sud les pays d’Europe centrale jusqu’à la Grèce et la Turquie.
L’OEST représentait la France dans ces travaux et a participé activement à l’ensemble des études menées par le CETMO, sur le corridor de l’ONU, ainsi que sur la traversée des Pyrénées et bien entendu les travaux de l’UE en vue de la création d’une vaste zone de libéralisation des échanges entre les pays européens et la Méditerranée.
Cependant, cet objectif est passé au second plan vers la fin des années 1980, avec l’apparition des premiers mouvements de contestation dans les pays d’Europe centrale, phénomène alors clairement perçu dans les travaux conduits à l’ONU, et encore plus, dans ceux de la CEMT où les études du groupe sur les Tendances du Transport International et besoins en Infrastructures (TTI) s’engageaient. Les pays d’Europe centrale étaient en effet membres de la CEMT mais pas de la CEE, la CEMT disposant par ailleurs de contingents d’autorisations de transport internationaux très recherchés. L’OEST a donc investi dès le milieu des années 80 sur les deux fronts du sud et de l’est de l’Europe, en plus de sa participation aux réflexions sur les premiers réseaux Européens avec l’INRETS.
Une greffe qui n’a pas pris
Progressivement, l’objectif de l’administration centrale, traditionnelle, soutenue progressivement par les responsables du ministère et de l’Insee, était manifestement de supprimer la singularité que représentait l’OEST.
Cela était déjà perceptible, à l’époque du SAEP, lorsque les prévisions financières faites sur la SNCF par exemple, ou sur les perspectives de l’activité transport dans les travaux du plan ne correspondaient pas aux discours tenus par les cabinets ministériels ou à ceux des directions centrales, ou de la SNCF.. En outre, l’OEST dépendant du Ministère des transports et de la Mer, il s’avéra que les approches des deux ministères, ou leur « intérêts » ne concordaient pas facilement, ne serait-ce que pour un projet phare comme le tunnel sous la Manche, où l’on s’attendait à une concurrence entre ferroviaire et maritime, rendant inconfortable la situation de l’OEST qui fournissait des informations aux deux camps..
En ce qui concerne la gestion administrative, et en particulier la direction du personnel, l’OEST ne « rentrait pas » dans les cases préétablies. Fallait-il une reprise en main du dispositif par les corps constitués de fonctionnaires : ceux du corps des Ponts et Chaussées, ou bien ceux de l’NSEE, voire de l’ENA dont une association contestait la nomination de contractuels ? Sans doute.
La crainte d’une administration trop indépendante sur un sujet comme l’information, qui ne pouvait être laissé en dehors d’une maîtrise administrative, a-t-elle joué ? Sans doute aussi.
Un certain retour en arrière sur la la transparence des données et des études d’évaluation au sein de l’appareil d’Etat,et des collectivités locales et territoriales comme au sein de grandes entreprises nationales, sous prétexte de secret commercial, ne plaidait pas vraiment pour un organisme « ouvert » et « participatif » comme l’OEST.
La perte de repères face aux évolutions de la régionalisation et de la décentralisation a sans doute joué un rôle aussi. Il faut rappeler ici que la récente Loi d’Orientation sur les Mobilités (LOM) qui s’est fortement réorientée sur la question des mobilités à courte distance, a permis d’y remédier , en partie, par un transfert de responsabilité.
On doit aussi signaler une perte de repères face au développement des directives de la Commission Européenne : très peu d’équipes Françaises participent à Bruxelles aux travaux de prospective et de planification des RTE (Réseaux Transeuropéens de Transport), alors que l’OEST y a été en son temps très actif, suivi après 90 par le DEST (Département de socio-économie des transports de l’INRETS).
L’attrait d’un organisme ainsi fragilisé allait donc baisser pour le personnel.
Plusieurs anciens ont retrouvé des carrières plus traditionnelles, d’autres ont engagé une carrière dans des organismes internationaux, dont ceux de Bruxelles, certains sont partis créer leur propre activité ou rejoint des bureaux d’étude, Bref des bifurcations qui ont toujours existé à l’OEST depuis sa création.
On a donc senti assez vite que l’aventure se terminerait. Mais supprimer l’OEST frontalement était difficile, ne serait-ce que par la qualité des relations de l’organisme avec les milieux professionnels (artisans, salariés, entreprises..) ; pour autant la stratégie était bien de le « faire rentrer dans le rang ». Nous avons eu alors la curiosité de constater qu’un ancien chef du SAEI avait du mal à comprendre la politique de l’OEST, et suggérait « amicalement » notre (P. Salini) départ, notre place étant de leur point de vue plus « naturelle » à l’extérieur de l’administration. Il n’y avait alors aucune opposition politique (ministre Paul Quiles), mais l’aboutissement d’un long processus. Une logique de rejet, tout à la fois d’un projet, d’une organisation pluridisciplinaire, d’un management différent, que voulait reconquérir les corps (Insee et Ponts). La magie aussi sans doute des grosses structures et l’illusion des synergies géographiques.
Mais il fallut cinq ans pour faire disparaître totalement l’OEST.
La fin des administrations de mission ?
La fin des différentes administrations de mission coïncide souvent avec ce que L. Sfez appelait l’étouffement. Ce fût indéniablement le cas de toutes les missions RCB des ministères et directions. Le combat bureaucratique mêlé à l’indifférence politique a souvent aussi raison de certaines structures : le SAEI et plus tard l’OEST peut-être. Les circonstances institutionnelles et politiques aussi jouèrent leur rôle pour la DGRST (dissoute dans le mythe d’un MITI à la japonaise), pour la DATAR, perdue sur le front de la décentralisation, alors qu’elle aurait pu en être un régulateur et un animateur. Ce fût aussi le cas du SAEI tombé en raison partielle de la scission du « grand » ministère de l’équipement.
Mais chaque fois, ce fût une résolution politique, une vision qui se réalisa dans la création des administrations prospectives. Mais leur absence de renaissance, la passivité des politiques face aux grands enjeux socio-économiques et environnementaux interroge. Sans doute peut-on considérer qu’une certaine forme d’organisation rationnelle, fondée sur l’éclairage des choix, la prospective, la concertation, la mobilisation d’administrations de mission pour animer cette organisation ne vont plus de soi. On y a substitué progressivement ce que l’on peut appeler une « rationalité émotionnelle », et le primat de la communication. On évacue l’organisation et la mise en forme des données - regardons objectivement le recul, aux transports du système d’information - et surtout l’analyse. Derrière la DGRST, la DATAR, le Plan (le vrai), l’OEST, il y avait en amont une grande capacité d’analyse, et l’ouverture vers l’extérieur de ces organismes était une valeur ajoutée certaine.
La fin de ces organismes a un sens politique et socio-administratif évident. Voir la RCB et les budgets de programme disparaître, puis, quelques années après la présentation du budget sous forme de missions et de programmes inscrite dans le marbre d’une loi organique, à quelque chose de très significatif. On n’a pas compris que ces missions et programmes sans l’analyse et le travail de la RCB derrière n’était que de la communication, de la forme. On recycle, étouffe et dénaturé comme le disait Lucien Sfez.
Et ne négligeons pas non plus les dimensions politiques, corporatistes, voir personnelles. Dans le jeu du pouvoir, elles sont bien entendu présentes.
Quoiqu’il en soit ce retour sur la mémoire des administrations de mission est utile pour redéfinir la vocation d’administrations centrales, dans un contexte nouveau de relations entre les différents niveaux institutionnels, de relations avec les professions et les usagers, face auquel ces administration prospectives de mission se sont retrouvés en avant-garde, coupées de leurs bases arrières, au début des années 2000.
C. Reynaud, P. Salini, Août 2025