De la mesure des transports
Des débuts à la seconde guerre mondiale
Les débuts : le comptage des colliers
Mécaniquement, un transport nécessite la transmission d’une force (traction ou poussage ) à un moyen de transport d’un certain poids qui devra vaincre la résistance du sol (ou de l’eau) et celle de l’air. D’où un intérêt particulier des ingénieurs à l’égard de l’usure (ou de la fatigue) des chaussées qu’ils cherchent à relier au trafic. Au niveau expérimental il est toujours possible de mesurer les effets et d’en déterminer les lois. En revanche l’appréciation d’ensemble des coûts d’infrastructure, et son anticipation, et la répartition des budgets pose un redoutable problème de mesure du trafic.
La technique retenue a donc été de pratiquer des « recensements » de la circulation (en fait des sondages dans notre langage actuel), fondés sur une observation des trafics, sur des points de comptage. Ceux-ci, répartis sur le réseau « national » tous les 7 km environ, étaient à la fin du XIXème siècle, pratiqués tous les 13 jours, tout au long de la journée.
Techniquement on comptait – dans chaque sens – le nombre de colliers de chevaux passant devant le point de comptage, nombre qu’on savait, selon les lieux voire les saisons, les traduire en tonnage, le problème étant entre-autres, faut-il le rappeler, de faire un lien entre trafic et fatigue des chaussées.
On pouvait, à partir de là, représenter la « charge » du réseau en termes de débit par section de route. Un calcul élémentaire permettait alors de déterminer le nombre de tonnes.km produites pour n’importe quelle zone géographique, et donc pour la France dans son ensemble. On passe ainsi d’une mesure de trafic (véhicules, colliers, passant par un point de comptage) à une estimation de la production de transport (passage des colliers aux tonnes, puis des tonnes au tonnes.km).
L’intérêt de cette extrapolation est négligeable pour la problématique des ingénieurs routiers, mais offre une comparaison avec la production des autres modes.
Le rail, ce transport intégré
En effet, le transport par rail, ne peut se contenter d’une analyse des trafics (débit de véhicules et poids), mais – du fait de l’intégration entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation des transports – s’intéresse au « transport » (des tonnes.km) qui génèrent une recette devant couvrir à la fois les coûts d’infrastructure et d’exploitation des transports. La question de l’évaluation des coûts – limitée au coût de construction et à celui de l’usage des infrastructures – intègre dès lors un cycle économique complet. On passe ainsi de la mécanique (frottement, usure..) à l’économie d’entreprise. Ce faisant on a besoin d’unités de mesure de l’activité. Adolphe Julien résume parfaitement cette problématique dans son mémoire de 1844 en termes de prix de revient d’une tonne.km ou d’un voyageur.km. C’est donc cela que l’on va mesurer. L’instrument de mesure devant être relié à la formation des recettes, on s’intéressera donc à l’activité (unités kilométriques) en rapport avec des catégories de marchandises se différenciant par leur nature et donc leur tarif. La tonne.km est ici une « unité fondatrice de la gestion ferroviaire », alors que de toute évidence, elle ne l’est pas pour l’ingénieur routier, et sensiblement moins pour le transporteur routier.
La navigation intérieure
La navigation intérieure de son côté a eu vite pour particularité – sans doute en raison de sa position un temps monopoliste – de mettre en place des tarifs ad-valorem (voir : Grangez, Ernest. Précis historique et statistique des voies navigables de la France et d'une partie de la Belgique : contenant tous les renseignements relatifs à la perception des droits de navigation et de péage : avec une carte commerciale de la navigation et des chemins de fer de la France, de la Belgique et des. 1855.). Ainsi le système statistique s’intéresse plus au tonnage (qu’on mesure alors à travers l’enfoncement des bateaux), à la distance parcourue, critère de tarification, et à la nature des marchandises qu’on divise en classes.
Nous avons donc, depuis le XIXème siècle, jusqu’en 1952, une comptabilisation des tonnes.km produites sur le sol français tirée, d’une part de comptages extrapolés, de l’autre de données liées directement à l’exploitation ferroviaire ou fluviale (réglementée), et donc à des distanciers tarifaires et des tonnages mesurés ou évalués, servant de base à la formation du prix.
De l’après guerre à nos jours
La révolution de 1952
Les exigences d’analyse des flux – présente dans l’analyse de la compétition entre modes ferroviaire et fluvial – apportent longtemps une vision d’ensemble des transports nationaux, complétés justement par les transports maritimes, dûment mesurés via les statistiques douanières. Mais la croissance rapide de la route requiert, après la seconde guerre mondiale, la conception d’une enquête sur l’usage des véhicules routiers permettant d’aller au-delà des simples comptages et des extrapolations qui en sont tirées. Ceci fut fait en France en 1952, , sur recommandation du Comité des Transports Intérieurs des Nations Unies à Genève. Pour la première fois, on pouvait disposer de données (sur une semaine puis extrapolées), permettant d’analyser l’activité des véhicules et de calculer les tonnages transportés (et les tonnes.km) par catégories de marchandises. Donc de données « comparables » à celle des autres modes, affectées, comme elles, par des biais spécifiques (liées le plus souvent aux tarifs pratiqués).
Sitram, 1971-2015
Dès lors s’ouvre la possibilité de disposer d’une « banque de données » permettant de décrire les transports sur le sol français, ou plus exactement, selon les modes, les transports effectués par des véhicules et moyens de transport français. Cette possibilité dépend bien entendu de la nature des données exploitées selon qu’elles sont issues de données exhaustives (ferroviaires ou fluviales) ou obtenues par sondage. Les choix opérés – selon les taux de sondage retenus et les tailles d’échantillon - permettront dans le meilleur des cas de disposer pour chaque mode, des flux de département à département par catégorie fine de marchandises : nous sommes à un moment allés jusqu’à disposer au maximum de données sur environ 170 « positions » de la Nomenclature des Statistiques de Transport (NST). La banque de données ainsi constituée, à laquelle on a ajouté les données douanières et les données internationales de chacune des sources, a été créée au début des années 1970.
Cet édifice a été constitué de manière à utiliser la même nomenclature de produits transportés (la NST), mais devait faire avec des définitions non homogènes des tonnes (réelles ou tarifaires) et des distances (ici aussi réelles ou tarifaires), et des définitions qui pouvaient différer. En effet, la notion d’international n’est alors pas strictement homogène.
Les bases nationales comme SITRAM devront « subir » les défis que représenteront d’une part la réalisation du Marché Unique, - avec l’utilisation du Document Administratif Unique en 1987, l’ouverture du fret ferroviaire à la concurrence, la réforme de na navigation intérieure, et la modification des enquêtes sur l’utilisation des véhicules routiers, provoquant des ruptures de séries (et d’ordres de grandeur).
Des règles Européennes régissent désormais l’ensemble des données statistiques rassemblées et publiées.
Dispositif européen : https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2017/12/DPR_2006_FORM_transports_dispostif_europeen.pdf
Route : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32012R0070&from=EN
Rail : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R0643&from=EN
Navigation intérieure : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R0974&from=EN
Maritime : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32009L0042&from=EN
Air : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32003R1358&from=EN
Un système Européen plus large, mais inégal et éclaté
On peut considérer que le système d’information actuel a perdu de sa continuité, interdisant par exemple une analyse dans la durée des données globales, et a fortiori des données détaillées, elles-même bien moins riches qu’auparavant.
Ainsi, au niveau de l’UE, les données en ligne se limitent à une période de l’ordre de 10 ans, et les données détaillées encore plus limitées.
Ainsi nous nous trouvons dans une situation paradoxale où le grand marché unique et la définition de règles européennes en matière statistique aboutit à la fois à enrichir le système d’information (plus global, cohérent, etc..) tout en perdant une part utile des informations. Plus encore, nous avons perdu la possibilité – dans le cas spécifique des données nationales françaises – de constituer des séries homogènes sur longue période. Signe des temps, les données géographiques en ligne, le sont désormais sur le site d’Eurostat et non plus sur le site national français.
Alors nous disposons certes de plus d’informations relevant de la statistique publique, plus aussi de données « spontanées » sur la circulation – dont on a vu l’intérêt pendant la crise du Covid par exemple -, plus de données en accès libre, par exemple sur les réseaux, mais tout ceci ne s’intègre pas dans un système d’ensemble cohérent. La statistique publique territoriale est de son côté très hétérogène, et parfois éparpillée, sans logique d’ensemble ce qui hypothèque largement les possibilités d’analyse. Tout ceci ouvre bien entendu la voie libre aux consultants et bureaux d’étude qui produiront des évaluations ou des estimations là où une statistique publique cohérente aurait dû faire son office.