Penser et lire les transports

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L’évaluation des politiques publiques et des grands projets

Etude de la CCTN, Saei, 1960
Etude de la CCTN, Saei, 1960

Dialogue sur l’évaluation

L’évaluation, politiques publiques et grandes infrastructures, un échec ? 

P.S. Oui et non. Quand on a fait le travail d’évaluation de manière sérieuse ça a marché et produit des résultats. A l’époque de la RCB, on a quand même élaboré et évaluer la politique de sécurité routière, celle de la périnatalité ou du dépistage du cancer de du col l’Utérus, mis en place des plans d’action (Bases Aériennes, Navigation aérienne), ou défini une politique des passages à niveaux. On a même construit un bel exemple – qu’on a largement enseigné aux fonctionnaires français et étrangers – avec la liaison Paris-Sud-Est (Simulion). Mais l’affaiblissement puis la suppression de la RCB puis du Plan, on entraîné l’abandon des études systématiques d’évaluation.

A un moment, on a senti que notre service horizontal, le SAEI et ses successeurs, faisait des études éclairantes, ce qui manifestement gênait la bureaucratie de certaines directions du Ministère, et qu’ils n’ont eu de cesse, selon l’écoute des cabinets ministériels de contester l’utilité même d’un service horizontal. En gros, on a eu depuis le début des années 1970 quelques périodes fastes. : les gouvernements Chaban, Fabius, et Rocard.  La disparition de l’OEST venant parachever ce recul des approches globales d’évaluation, et la disparition des travaux du Plan (et du FDES) auxquels nous étions structurellement associés.  Alors le bilan final est négatif.  

C.R.

 Je suis d’accord ; l’administration s’est petit à petit dépossédée d’une capacité et d’une compétence propres à assurer une doctrine en matière d’évaluation des politiques et des projets qui s’impose à différents types de projets et de politiques. Bien entendu il y a eu des circulaires pour l’évaluation de projets mais leur mise en œuvre est loin d’être harmonisée ne serait-ce qu’entre les modes. Si pour les perspectives globales de transport on parvient à avoir une certaine cohérence, ce n’est pas du tout le cas pour des hypothèses de coûts ou de performances des modes, qu’elles soient économiques ou environnementale. Les travaux sont de plus en plus souvent soumis à des expertises extérieures, et des missions confiées à des personnalités, sans mettre en cause leurs qualités et leur bonne volonté, se font toujours dans la précipitation sans s’assurer d’une continuité de la démarche et d’un suivi des recommandations : combien de rapports débutent par « compte tenu des délais impartis il n’a pas été possible de…mais… ». A cela on peut toujours objecter la complexité croissante, l’administration centrale étant prises dans un contexte international ou local qu’elle connait mal ou maîtrise mal. Mais une autre évolution explique aussi ce glissement, évolution qui aurait dû pourtant inciter à plus de rigueur et transparence, alors que cela a été probablement le contraire : l’introduction et la formalisation de débats publics et en particulier de débats préalables, du moins pour l’évaluation de projets. Cela partait d’une idée louable, notamment suite à une mission du préfet Carrère, afin de démocratiser la procédure, y compris dans des contextes où la légitimité socio-économique du projet était difficile à établir. Se combinaient ainsi une légitimité économique (au sens large, y compris impacts environnementaux) et une de légitimité démocratique, indissociables et qui pouvaient mutuellement se renforcer dans des prises de décisions difficiles. Alors que cela aurait exigé sans doute plus de transparence, cela a conduit trop souvent à communiquer sur les projets plus qu’à expliquer les enjeux, et parfois à rigidifier des positions dans des procédures qui peuvent être très longues.

 

Mais dans les transports, la LOTI imposait des études « avant-après » !

P.S. Certes !  Mais ça ne concerne que les grands investissements…  En fait, en inspirant l’article de la LOTI, le décret d’application et une instruction,  notre équipe pensait avoir sécurisé une démarche nécessaire. Mais l’expérience  nous a montré ensuite qu’il ne suffisait pas de dire ce que doit faire l’Etat ou les promoteurs de grands projets.  Nous avons surestimé le respect de la loi, et surtout l’implication des pouvoirs publics dans un processus rationnel. Eclairer pour discuter.. Nous pensions naïvement que c’était tellement évident que tout le monde allait s’y plier. Les bilans établis sur les « bilans Loti » montrent clairement que c’était une illusion. Et nous avions dû nous insérer dans une loi sur les « transports intérieurs » dont le champ limité de manière incompréhensible, allait nous gêner.

C.R. En effet la LOTI a permis de donner un cadre législatif, donc contraignant à une démarche de rationalisation de choix. Cela est d’ailleurs le cas dans beaucoup de pays, où pour les plans d’investissement il y a un vote du Parlement montrant en quoi l’évaluation est un engagement fort pour l’établissement des dossiers et la décision démocratique. L’application de la LOTI a connu les problèmes que signalent Patrice, et j’ai pour ma part été très étonné que ce sujet, dans le contexte actuel, ne revienne pas en bonne place dans la nouvelle loi sur les mobilités.

 

Et au niveau Européen ? 

C.R. Au niveau Européen il y a des recommandations pour l’évaluation mais elles restent peu opérationnelles, et les pratiques continuent de différer d’un pays à l’autre ce qui rend l’évaluation de grands projets transfrontaliers, points d’attention forts de l’intervention de l’UE, toujours difficiles. Ceci étant il faut aussi voir que la politique européenne est tout un ensemble de mesures à préconiser qui concernent aussi bien les infrastructures que leur exploitation (interopérabilité) ce qui rend l’évaluation plus difficile. A ceci s’ajoute le fait que la commission ne dispose pas d’outils  en matière de projections de trafics et craint d’interférer avec des évaluations faites au niveau national. Le seul domaine où la Commission semble s’être engagée le plus loin dans des analyses prospectives et d’évaluation est sans doute celui de l’énergie. Il y a eu certes des tentatives pour un modèle économique global européen qui fait de plus en plus autorité pour un cadrage économique global dans les différents pays, mais pour le transport l’enjeu pour la Commission était aussi de montrer combien les investissements pouvaient avoir un effet multiplicateur considérable ; d’où aussi la référence fréquente à un modèle particulier ASTRA, différent, mis au point par des équipes de recherche. A l’Heure actuelle il y a aussi un enjeu spécifique et ambitieux, celui de la « planification » des Réseaux Trans Européens (RTE), point sur lequel il faudra revenir car cela n’a pas, paradoxalement, donné lieu pour le moment à un renforcement d’une démarche d’évaluation européenne.

P.S. Ce qui me frappe c’est qu’il n’existe rien de systématique ni de coordonné, malgré des textes de la Commission précisant des principes de méthode. La Cour des Comptes vient récemment de le montrer et de le déplorer.

 

Qui devrait organiser et financer les évaluations ?

 

C.R.  C’est une question importante qui interpelle directement le fonctionnement des institutions, et la force juridique que l’on va en définitive accorder à l’évaluation pour que cela ne devienne pas un combat entre experts, échappant en définitive à tout contrôle démocratique.

Cette question avait d’ailleurs été posée lorsqu’il y a déjà longtemps , le SAEI dont Patrice a parlé plus tôt devait être supprimé : ne valait-il pas mieux préserver ces compétences et faire du SAEI un organisme sous le contrôle de l’Assemblée Nationale, faisant ainsi coup double pour le fonctionnement démocratique : renforcement de l’Assemblée sur le plan technique et donc démocratique et assurance d’une plus grande neutralité. Ce point n’est peut-être pas automatiquement acquis vu l’influence possible de groupes de pressions, lesquels se manifesteraient quoiqu’il arrive, avec d’autant plus de force que l’assise institutionnelle de l’organisme qui fait l’évaluation est plus fragile. Quoiqu’il en soit cette perspective semblait être bien accueillie de tous bords politique. D’ailleurs si l’OEST a été mis en place sous un gouvernement de gauche, il a quand même traversé toute une période ou des gouvernements de gauche et de droite (le Ministre Douffiague était même considéré comme très libéral) se sont succédés, rattaché directement au cabinet (à plusieurs cabinets souvent compte tenu d’une compétence en maritime et aménagement territorial), et ce n’est pas sous un Ministère de droite qu’il a eu le plus de difficultés à survivre. Ce rappel fait que, par exemple, je ne comprends pas pourquoi l’idée de rattachement de France Stratégie (Organisme d’étude, avec une approche souvent assez académique et ouverte, placée, auprès du premier Ministre) à l’Assemblée Nationale, chère à De Rugy, a été si vite écartée par le Président actuel. Cela aurait pu renforcer le rôle de l’Assemblée, et sans doute donner à cet organisme dont on ne peut dénier les compétences, avec l’autorité de Pisani Ferry, une vocation plus générale, alors que les rapports ont un impact trop spécifique dans le positionnement de l’évaluation dans le dispositif institutionnel. Cette question se pose aussi au niveau Européen dans les rapports entre la Commission qui maîtrise parfaitement les procédures administratives en place face à un Parlement Européen dont les capacités de contrôle se trouvent ainsi de fait limitées (cf l’adoption avec relativement peu de discussions de certains textes comme l’acceptation des nouvelles directives de RTE en 2013, alors que ces décisions allait fortement marquer la procédure d’affectation de subventions importantes pour la relance, et la politique de transport pendant longtemps). Lors de la nouvelle présidence Française il ne faut pas sous-estimer le travail que représente la mise à jour des critères de développement des RTE prévue en 2022 : qu’est-il fait pour le préparer car une présidence est quand même une période courte pour parachever un tel objectif et ne peut être improvisé durant la présidence.

Pour revenir à la France il faut certes aussi rappeler le rôle important qu’a pu jouer la CNDP dans l’ouverture d’un processus d’évaluation publique pour un projet. Ce débat intervient donc assez en amont avec souvent des moyens indéniables mis à la disposition du public pour s’exprimer voire influer sue la définition de scénarios. Mais l’intervention se trouve souvent très en amont pouvant même figer par ses résultats l’évolution d’une procédure longue dans un contexte changeant et ce n’est pas la consultation publique de la DUP, plus focalisée sur un impact local qui peut corriger ce biais. En outre il faut reconnaître que la CNDP n’a pas vocation à développer une compétence technique en matière d’évaluation qui restera extérieure. 

Une autre voie qui pourrait s’amorcer est alors celle d’une montée en compétence dans ce domaine d’une ART (Agence de Régulation des Transports), organisme indépendant qui semble avoir pris conscience de l’importance de la question des données, reste à l’écoute des rapports de la cour des comptes et donc rempli en quelque sorte un vide laissée par l’administration centrale pour des avis horizontaux. Reste à savoir si elle aura assez d’autorité et de légitimité pour se renforcer et s’imposer, lorsqu’elle interviendra de façon très directe sur l’évaluation de grands projets, face au niveau central mais aussi Européen, voire local ce que avait aussi tenté en son temps l’OEST avec la mise en place d’observatoires régionaux, un suivi du travail d’Eurostat et une participation à l’évaluation de projets internationaux (PBKA, Paris Bruxelles Cologne Amsterdam puis Londres, par exemple)

 

P.S. Christian ouvre à nouveau ici la question de la place de cette activité particulière d’analyse et d’étude qui constitue un service public que je conçois comme largement indépendant. Mais il faut aussi dans notre esprit continuer à regrouper dans le même organisme la production statistique, sa valorisation, les études et évaluations, et l’animation de la recherche contractuelle. De proche en proche ça oblige à se poser la question de la place de l’Insee dans notre « système administratif », de même que celui des organismes qui, dans d’autres secteurs, pourraient jouer le même rôle que celui dévolu aux transports et à l’urbanisme, jadis, au SAEI.

 

On regrette souvent l’opacité ou le manque de pluralisme des études, qu’en pensez vous ? 

 

P.S. Dans une logique très « rationalisante » et technocratique, on pourrait penser que les Inspections générales ou les « Conseils Généraux » des ministères peuvent ou doivent mener ces études, puis les soumettre à une ou des contre-expertises. On peut aussi considérer que c’est beaucoup plus le métier de base de services horizontaux d’analyse économique (à l’instar du SAEI et de l’OEST), solution que je crois plus réaliste et efficace.  Il faudrait  en outre formellement construire des fonds de concours alimentés par les promoteurs et l’Etat pour financer les enquêtes ou études qui devraient être externalisées. En pratique cela pourrait fonctionner.. mais j’imaginerai bien autre chose. Une évaluation pluraliste,  sous l’égide d’un service horizontal de l’Etat, largement autonome, mobilisant plusieurs équipes concurrentes partageant les mêmes données. Cela me semble offrir plus de garanties, ce qui n’empêche nullement les inspections générales de donner leur avis. Le reste relève du débat public et des mécanismes relatifs aux DUP. 

 

C’est sans doute plus difficile au niveau de l’UE et pour les projets du Réseau Transeuropéen.. Comment faire ?

 

C.R. Au niveau de l’UE la question s’annonce donc au moins aussi  difficile, (comme je l’ai laissé entendre dans une question précédente), dans un contexte d’ urgence pour sélectionner des projets puisque des fonds ont été très vite disponibles après le vote par le Parlement des directives relatives au développement des RTE il y a 8 ans déjà. De plus la fenêtre d’intervention de la présidence est courte si la France veut peser sur le processus. Une première étape a alors été engagée celle de la planification de corridors prioritaires à l’horizon 2030, les projets éligibles devant se situer dans ces corridors, avec des taux de contribution pouvant atteindre 50% dans le meilleur des cas,  projets qui peuvent aussi obtenir des financements complémentaires pour des pays susceptibles de relever de Fonds de cohésion : d’où des % de subventions très élevés qui n’incitent pas toujours à mettre l’accent sur l’évaluation préalable de l’engagement de fonds surtout lorsque l’argent est disponible, et que les taux multiplicateurs pour l’économie sont supposés être élevés.

Mais jusqu’à présent ces planifications de corridors, placées sous l’animation d’un coordinateur  se sont surtout traduits par la mise en œuvre de concertations entre acteurs au sein de Forum ou de groupes de travail, permettant de collecter tout un ensemble de projets voire d’études ne se limitant d’ailleurs pas aux infrastructures, projets qui sont progressivement mis, ou pas, sur une trajectoire de subventions en fonction d’une série de critères plutôt qualitatifs de maturité, et d’objectifs prioritaires (par exemple qualification de « maillon manquant »…). Chacun de ces corridors dispose d’ailleurs de sites web pour accès à l’information, lesquels bénéficient aussi des travaux de corridors ferroviaires alignés sur les corridors prioritaires multimodaux facilitant une interopérabilité des services le long du corridor.

Donc pour le moment il n’y a pas véritablement de procédure d’évaluation très formalisée puisque la commission ne dispose pas encore des outils nécessaires, comme des outils de projection des trafics ou « besoins », bien que chaque corridor tente de donner quelques projections. Pour ce faire il suffit de consulter ce qui est appelé le 4ème Work Plan de chacun des corridors. En outre il est évident qu’une évaluation globale d’un projet ne pourra être véritablement faite que lorsque le projet s’inscrit dans un réseau, la planification des réseaux n’étant prévue qu’après 2030 dans une deuxième phase. 

Deux remarques doivent alors compléter ce problème d’évaluation actuel des RTE :

   -  Le fait que la définition même des corridors n’ai pas véritablement fait débat compte tenu des enjeux de financement, la configuration des corridors prioritaires en France apparaissant surprenante par rapport à l’idée que l’on se fait de la morphologie des réseaux.

   - Et le fait qu’elle soit passée presque inaperçue pendant longtemps dans beaucoup de pays et en particulier en France, rarement mentionné y compris dans travaux sur les infrastructures, si ce n’est par les promoteurs de 2 grands projets Seine Nord Europe et Lyon-Turin.

Et  pourtant les itinéraires et les nœuds avaient été scrupuleusement listés et géocodés par la Commission (base TENtec), dans les textes officiels des règlements.

 

Suite…

 

Il y a aussi un problème de données et de leur partage ?

 

P.S. Oui, c’est un vrai combat, de même que de maintenir l’intérêt des Etats par rapport à la production d’informations utiles. Mais il faut savoir aussi que, l’accès aux données des entreprises – même en étant protégées par le secret statistique – n’est pas évident sans texte réglementaire spécifique. Ainsi, on a prétendu étudier les transports de voyageurs et évaluer des projets majeurs sans disposer des données détaillées d’enquête des compagnies autoroutières, de la Direction des routes, de France Inter, et de la SNCF. C’est en parvenant à construire des panels permettant un suivi longitudinal des déplacements qu’on a pu progresser dans la connaissance et l’évaluation de projets comme le TGV Paris Bruxelles Cologne Amsterdam. 

 

C.R. La question des données est capitale, et personne ne va le contredire. Mais elle ne doit pas être abordée de manière « indifférenciée », toute donnée étant bonne à prendre, car il faut aussi une certaine stabilité dans les bases de données, tout en restant ouverts aux nouvelles données disponibles, aux évolutions pour les saisir et les traiter. Au sein de l’OEST d’ailleurs, un comité spécifique, ouvert au monde de la recherche et aux professionnels avait été créé, le CEDIT, Comité d’Evaluation et d’Information sur le Transport qui a fait un travail considérable sous l’impulsion de Michel Houée. Face à ce problème d’enrichissement des bases de données, mais aussi de leur cohérence, à leur utilité et stabilité, il avait ainsi été possible de faire la part des choses entre  ce qui relevait bien du dispositif national, pour nourrir la comptabilité nationale et ce qui relevait d’un enrichissement de statistiques plus spécifiques au transport. Beaucoup de propositions ont été faites par ce comité pour asseoir une démarche d’évaluation ex ante et ex post, sur la manière de mener des enquêtes de transport. 

A ce titre signalons en particulier la mise en place de l’enquête CAFT (Cross Alpine Freight Transit) qui était en fait conduite à travers les Alpes et les Pyrénées pour mieux cerner l’ensemble du transit en France, en liaison avec nos partenaires Suisses et Autrichiens, avec recherche de financements, y compris Européen. Cette enquête a été abandonnée en France, par la suite, alors que le transit routier est une préoccupation majeure, ce que d’ailleurs l’ART recommande de relancer. Cette démarche s’élargissait donc au niveau européen, avec dans le même temps des réflexions conduites sur les pertes de qualité d’informations liées à une simplification nécessaire de procédures en international. Des progrès ont certes été fait dans des échanges de fichiers entre pays sur les enquêtes routières, mais il y a peu de regard critique sur l’harmonisation des méthodes et de la qualité, sur la confrontation des données fournies. Quant au ferroviaire il y a eu aussi cette confusion en France entre ce qui relève, comme disait Patrice du secret statistique ou du secret commercial dont l’OEST était garant pour le transport, et de l’information publique nécessaire pour aider la décision : d’où une attitude difficile à comprendre de la SNCF, au point où, la communication extérieure d’un petit livret vert sur les données de base ferroviaire, livret couramment utilisé par les économistes du transport, devenait une « faute professionnelle ? ». Il est donc urgent que cette question des données, avec toutes les nouveaux types d’information disponibles ou accessibles (données géo-codées, bases de services, localisation de téléphones ou balises, nouveaux modes de sondage) se retrouve à nouveau au centre d’un véritable débat scientifique, ouvert, au service en particulier de l’évaluation, avant que cela ne devienne essentiellement des échanges « sous le manteau », sans contrôle de la qualité.

 

P.S. Ce que dit Christian, et que je confirme, me fait penser qu’il y a eu, paradoxalement, une régression dans le détail des données communiquées, publiées, et utilisables. L’Etat, à l’époque des concessions aux grandes Compagnies de chemin de fer, disposait d’une quantité considérable de données, y compris financières.On publiait un détail impressionnant de données sur les voies navigables… Nous avions à l’époque du Plan et du Fdes, dans des organismes comme le SAEI, disposition d’une quantité de documents financiers très précis, et nous avions commencé à constituer la banque de données SITRAM (Système d’Information sur les Transports de Marchandises) avec des données très précises. A la limite nous n’étions freinés que par la taille de l’échantillon relatif au transport routier – que nous exploitions parallèlement à celle des feuilles de route (document qui était obligatoire pour les transports à longue distance) -. Nous disposions aussi alors des données douanières.  La libéralisation du marché ferroviaire et la création du marché unique ont appauvri le système d’information par imprévoyance.  Heureusement les enquêtes routières se sont améliorées, coordonnées et intensifiées en Europe. Mais les dernières données de SITRAM datent de 2015, et le Ministère ne publie des données sur le transport et le commerce extérieur que jusqu’en 2010.. suggérant implicitement de s’en remettre à Eurostat

 L’évaluation des infrastructures : L’éclairage des choix en panne                      Par Patrice Salini

Les articles L1511-1 et R1511-1 et suivants du code des transports découlent directement de la Loi
d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI), votée en 1982, et de son décret d’application publié en 1984.
Ces textes, précisés par la suite, tirent en effet leur origine légale d’un projet de loi qui voulait, outre assurer l’avenir de la SNCF - un EPIC succédant à la société anonyme qui expirait fin 1982 -, définir les grandes lignes des principes sur lesquels on voulait fonder la politique des transports.

UN ARTICLE INSPIRÉ PAR LA « RATIONALISATION DES CHOIX BUDGÉTAIRES »
La présentation du projet non finalisé en Avril 1982 devant le Conseil Supérieur des Transports (organisme créé en 1937 puis transformé en Conseil National par la LOTI, et supprimé en 2010), par Charles Fiterman, ne reprenait pas l’essentiel des propositions de la commission présidée par Jean Kahn, qui aurait du, dans l’esprit de G. Braibant, conseiller spécial du Ministre, en préfigurer le contenu, mais ne traitait pas non plus des choix d’investissements publics.
En réalité l’ajout au projet de Loi du texte sur l’évaluation « avant-après » des grands investissements en infrastructures et des choix technologiques, résulte de propositions faites par la Commission Transport du Parti Socialiste, et singulièrement d’une équipe d’économistes du Ministère chargé des transports et de l’équipement. Ceux-ci, dont j’étais, avaient alors de fortes convictions inspirées des expériences américaine du PPBS (Planning Programing Budgeting System) et française de la RCB (Rationalisation des Choix Budgétaires).
L’idée directrice était qu’une décision rationnelle devait être éclairée par un processus d’évaluation (économique, sociale, technique, etc..), qui, dans l’idéal, associait les experts des diverses parties prenantes. Ces principes étaient d’ailleurs assez proches de ceux qui prévalaient dans les groupes et comités du « Plan » en France. La réalisation de bilans « après la réalisation des projets » devait venir compléter l’analyse et permettre
d’affiner les techniques et méthodes d’évaluation et rectifier éventuellement certains projets en cours ou envisagés.
Il s’agit donc d’un texte relativement optimiste sur la décision publique, pariant sur l’exigence de l’éclairage des choix (ce qui était déjà réclamé par Jules Dupuit en 1844), et - ce qui est important - la publication des évaluations tant avant qu’après la réalisation des projets. On peut sans doute trouver ces textes d’alors sans doute un peu naïfs - d’autres le seront aussi -, mais il reposait sur une conception de l’Etat évidemment optimiste.
Ainsi, le texte, en l’état, avait quelques faiblesses ou lacunes, sans doute par la confiance (excessive ?) qu’il faisait envers la bonne volonté des gouvernements, l(absence d’inertie des administrations, entreprises publiques et grands corps d’Etat, mais aussi l’exclusion de son champ des projets ne recevant pas de financement public, ce qui excluait par exemple le projet de tunnel sous la Manche.
Il pêchait aussi par l’absence de lien explicite entre l’évaluation des projets et la planification (encore d’actualité au début des années 1980). Enfin, en en confiant la tâche aux maîtres d’ouvrage, il faisait également confiance à leur bonne volonté, et, plus tard, au respect des normes d’analyse qui seraient édictées. Bref on présupposait beaucoup de bonne volonté ou de civisme.
Il ne sortait pas pour autant du néant. Le ministère de l’Equipement, sous ses divers contours et appellations, avait pratiqué - mais sans coordination globale - le calcul économique, par exemple pour classer les projets routiers, ou pour éclairer la politique de sécurité routière. De même, les projets ferroviaires étaient généralement dûment évalués (voir le cas du TGV sud-est). L’histoire du calcul économique public nous rappelle ici le rôle de novateurs des ingénieurs économistes du ministère au XIXème siècle.
Il restait que cet article de la LOTI pouvait apparaître néanmoins comme reflétant une volonté de mener une approche nouvelle intermodale, et d’harmoniser et systématiser les pratiques des différents modes, ce qui était loin d’être le cas.
Le texte voté, a fait l’objet de critiques lors du débat parlementaire, les unes fort générales, les autres plus précises, comme par exemple sur la difficulté d’agréger des critères, et des discussions sommaires ont eu lieu sur la façon de présenter dans le texte la prise en compte des flux internationaux. Mais, au fond, hormis une position de principe visant à demander une loi spécifique, l’article 14 de la LOTI semblait faire consensus sur son principe.

DES SUITES LABORIEUSES

La suite, le décret d’application datant de 1984, allait donc pouvoir se juger au beau milieu de la décennie pour les évaluations préalables aux choix, et vers 1990 pour les bilan a postériori.
Or, à l’époque, je peux en témoigner, aucune coordination effective n’était en place pour assurer la cohérence des approches des différents domaines (Terre, Air, Mer) et en leur sein des différentes entreprises publiques. J’ai dû alors, en tant de Conseiller puis Directeur de Cabinet aux Transports, réclamer à tout le moins que les hypothèses économiques soient communes pour la présentation des programmes d’investissement qui alors passaient devant le Comité 8 du FDES. Pour les projets, il fallait attendre non seulement la publication du décret (1984) mais surtout celle d’instructions précises et nombreuses pour les services (1992, 1995, 2003, 2005, 2014..), une recommandation générale ayant été rédigée en 1986, sans grand effet pour cause de changement de majorité, peut-être.
Or, dès 1992, Michel Rocard eut à s’offusquer de ce que le ministère de l’équipement n’avait toujours pas d’approche globale et homogène, et proposait à l’arbitrage du Premier Ministre, sans tri ou presque, l’ensemble des projets poussés par ses directions. Ces remarques eurent pour conséquence le lancement d’un « débat national » sur les transports et la publication d’un volumineux rapport sous l’égide du Commissariat du Plan, ainsi que le lancement d’une mission traitant du débat public (Préfet Carrere, 1992).
Certains travaux plus généraux (Boiteux, Quinet, etc..) visaient par ailleurs à étendre et préciser la prise en compte des effets dits « externes », et donc climatiques, et leur évolution temporelle, ou encore à préciser la doctrine en matière d’actualisation ou de prise en compte de la rareté des fonds publics.
Pour autant, aucun service horizontal ne fût chargé de coordonner les travaux, ni même de s’assurer du moindre pluralisme des analyses maintenues entre les mains des payeurs, au risque d’évidents conflits d’intérêt.
Au début des années 2010, une nouvelle dimension fut ajoutée avec la mise en place de « contre-expertises » sous l’égide du Commissariat Génaral à l’Investissement (devenu Secrétariat Général, voir https:// www.gouvernement.fr/les-contre-expertises- independantes).
En effet La loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 instaura l’obligation d’evaluation socio- economique préalable des projets d’investissements finances par l’Etat et ses établissements publics et une contre- expertise indépendante de cette evaluation lorsque le niveau de financement dépasse un seuil que le décret d’application de la loi a fixe à 100 M€. La vraie question est de savoir si cette obligation changea réellement quelque chose, les contre-expertises apportant de l’esprit critique, mais ne remplaçant pas l’évaluation contradictoire pluraliste qui reste absente.

DES RAPPORTS ACCABLANTS : ABSENCE DE COORDINATION, ABSENCE OU RÉGRESSION DE L’APPLICATION DE DISPOSITIFS INSUFFISANTS.

Le rapport du Conseil National des Transports « d’évaluation de la LOTI » 10 ans après (1993) parle globalement « d’application limitée et de dispositions délaissées ».
En 1999, la Cour des Comptes considérait que l’article 14 de la LOTI était restée « sans suite ».
En 2002, le rapport Seligman (Conseil Général des Ponts et Chaussées) sur les bilan ex-post constatait que seuls 4 bilans avaient été examinés par le Conseil Général des Ponts depuis l’applicabilité de l’article 14 de la LOTI (1984), sur 39 qui auraient dû être réalisés, et 13 effectivement produits (mais donc non examinés par le CGPC). Un sur 10 donc répondait alors aux termes de la LOTI et de ses textes d’application sans que personne ne s’offusque de la non application de la loi ni de ses conséquences. D’ailleurs doit on relever que les obligations que s’impose l’Etat ne l’impressionnent guère.
Or, depuis, émanant de structures diverses, se succédèrent divers constats ou analyses critiquant d’une part les évaluations préalables, puis la frugalité des bilans ex-post. De ces rapports on ne peut que tirer le sentiment que personne ne coordonne ni ne s’assure de la qualité ni de la cohérence des approches au niveau global du ministère,
   
 étant entendu que le volet technologique est totalement négligé. - il l’a toujours été -. Personne ne s’assure - sauf au hasard de quelques contre-expertises - du pluralisme des approches. Personne ne promeut l’impératif d’analyse intermodale, ni la prise en compte des réalités extra territoriales. Quant aux études à posteriori, on semble bien poursuivre dans la même veine que celle relevée en 2002 : le non respect des obligations légales.

NON RESPECT DE LA LOI ET DÉSARMEMENT DE L’ETAT

La suppression des fonctions si essentielles d’études générales « horizontales » en dehors des grandes directions sectorielles est ici dramatique. A la place, si on peut dire, on a mis en place des structures discutables comme le très politique Comité d’Orientation des Infrastructures, qui n’a rien à voir avec les comités du Plan de jadis, ou l’inutile Agence de financement des infrastructures de transport de France, qui ne disposent, ni l’un ni l’autre, de structure d’étude.
On observe même que ce défaut d’études conduit l’’Autorité de Régulation des Transports à produire elle même études et même statistiques, sans pour autant mener des études horizontales ni des études « avant- après ».
Pourtant, quand elles existent, les études a postériori sont riches d’enseignements. En 2013, J.P. Taroux a contribué, sous l’égide de ce qui deviendra France Stratégie, à l’analyse « ex-post » des projets d’infrastructures en ce qui concerne les trafics et les coûts suggérant des écarts entre les prévisions et les réalisations fort significatifs.
En 2018, le CEREMA a dressé un nouveau bilan des projets routiers (Synthèse des bilans ex post des projets routiers structurants). L’une des conclusions essentielles, hormis les manques particuliers touchant aux aspects financiers, est que l’on « observe un biais de sous-estimation de 20% en moyenne sur les coûts et les trafics. ». Ce qui, est étonnant. Les études portant sur les bilans ferroviaires menés par ailleurs (CGPC) mettaient en évidence à la fois une surestimation des trafics et une sous-estimation des coûts. Une différence quasi sociologique donc et qui suggère parfaitement l’absence de coordination des études.
Il est donc presque logique, bien que dramatique, de constater l’échec ou l’imperfection de l’application des dispositifs
d’évaluation avant-après (désormais sanctionné par des recours devant la justice administrative), alors que nous devrions voir au contraire se réaliser les progrès nécessaires à une meilleure prise en compte de la diversité des analyses (qui devraient être pluralistes et contradictoires), l’homogénéité et l’honnêteté de la prise en compte de critères de choix, et la transparence des analyses et des données (anonymisées s’il le faut).
Un manque qui conduit inutilement à des décisions mal éclairées et des réalisations mal analysées.
Mais on peut aller plus loin dans la critique, lorsque l’on observe que des projets majeurs, soit ont réussi à échapper à toute analyse transparente (Tunnel sous la Manche), soit ne sont pas réexaminés - malgré des promesses - ou mal réexaminés.
Le fait par exemple de ne pas prendre en compte - sur un projet international - la contre-expertise italienne, par ailleurs fort critique des analyses précédentes, dans une approche contradictoire et pluraliste pose évidemment question.
Le drame, derrière ou par delà des décisions politiques que l’on peut soutenir ou combattre, c’est que nous assistons, au mieux ! - à une sacralisation des études et évaluations préalables aux décisions, alors que l’esprit même de l’éclairage des décisions publiques requiert précisément la clairvoyance.

P.S. 22 mai 2021